Annie Jaubert est une présence discrète aux Granges, en compagnie d’une amie de longue date, Marie-Thérèse Perrin. Cette amitié accompagne financièrement et par sa présence au conseil d’administration de l’œuvre créée par Marie-Thérèse Perrin, afin de donner un statut aux mineures mères de famille en délicatesse avec la justice. La biographie d’Annie Jaubert est assez simple, avec une césure majeure (1946-1948).
Née à Bordeaux en 1912, elle suit son père pour Paris et fait ses études dans un milieu « catho » : Sainte-Marie à Neuilly, École Normale catholique. Inscrite en Sorbonne (c’est peut-être là qu’elle fait la connaissance de M. Th. Perrin), elle obtient l’agrégation de lettres classiques (français, latin, grec) en 1937, et enseigne en lycée de 1937 à 1946 (Poitiers, Versailles, Paris). Et selon son récit aux Granges, elle économise pour « se payer » des études pouvant lui ouvrir la compréhension des Évangiles, celle des langues sémitiques à l’Institut catholique de Paris (1946-1948).
Accueillie au Centre National de la Recherche Scientifique (1948-1951), elle est boursière à l’Institut à l’École biblique de Jérusalem (1951-1952) alors que les découvertes de Qumran battent leur plein et qu’elle y trouve un calendrier qui lui permet de rédiger une thèse sur la datation de la Cène (1963). À partir de 1955, elle est recrutée au CNRS tout en assurant des cours en Sorbonne, assistante d’Henri-Irénée Marrou (1955-1972), de Charles Pietri (1977-1979).
Quatre pistes de recherche la caractérise :
- La patristique, en liaison avec les Sources chrétiennes éditées par les Dominicains au Cerf, avec Origène (Homélie sur Josué, 1960) et Clément de Rome (1971).
- Le milieu juif contemporain de Jésus (La notion d’alliance dans le judaïsme aux abords de l’ère chrétienne, 1963).
- L’histoire des premiers chrétiens, avec La date de la cène (1957) discutée et mise de côté par John P. Meier ; Les Premiers chrétiens (1967) ; Approches de l’Évangile de Jean (1976).
- Et, peu cité, Les femmes dans l’Écriture (1992) : « De toute manière, l’action de l’Esprit s’est si souvent manifestée en faveur des femmes qu’on ne voit guère sur ce point d’objection possible contre les ordinations féminines et qu’il ne s’en exprime pas non plus. Pourtant, il peut en demeurer dans les sensibilités » (p. 119). Et Étienne Fouilloux de conclure : « Sans aucune revendication féministe, elle démontre, textes à l’appui, que rien ne s’oppose à la dévolution de charges ministérielles aux femmes ». De sa disparition (1980) à 2020, 40 années se sont écoulées… Par ailleurs, à Mirmande, Jean Jacob (+ 2019) a pris la suite de cet apport essentiel à une vie spirituelle.
Dominique LERCH
1) À partir des Cahiers Universitaires Catholiques, mai-juin 1980, pp. 35-36, deux notices biographiques, l’une par Étienne Fouilloux dans Destins de femmes. Religion, culture et société (France XIXe-XXe s.), Paris, éditions Letouzey, 2010, p. 218-219, et l’autre par François Laplanche, La crise des origines. La Science catholique des Évangiles et l’histoire au XXe siècle, Albin Michel, 2006, 628 p.
2) Consultante laïque à partir de 1966 de l’Association catholique française pour l’étude de la Bible (en 1975, 235 biblistes recensés en France), l’ACFB mesure pleinement la question du décalage entre spécialistes et le niveau moyen des fidèles), membre de la Paroisse Universitaire, intervenante au Centre catholique des intellectuels français, elle a poursuivi une des missions fondamentales de l’Église primitive (Éphésiens 4,11-16) : celle des docteur(e)s, au milieu des apôtres, des prophètes, des pasteurs et des évangélistes, les plus anciennes étant apôtres, prophètes et docteur(e)s, enseignants patentés écrit-elle.
3) Un certain Juif Jésus, t. I, Cerf, 2006, p. 244 et sq. : [La théorie avancée par Annie Jaubert] témoigne d’une grande érudition et s’efforce de s’appuyer sur les réalités concrètes de la Palestine du Ier siècle. Elle se heurte pourtant elle aussi à d’insurmontables difficultés… À noter que Simon Claude Mimouni (Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth, Paris, Bayard, 2015) s’appuie au contraire sur la thèse d’Annie Jaubert pour examiner la question sacerdotale dans le mouvement chrétien des origines, en qualifiant le travail d’Annie Jaubert « d’étude classique et toujours éclairante », donnant une biographie à jour à date (p. 559) : « Dans l’Apocalypse de Jean, qui est une réflexion prophétique et sacerdotale sur la contamination de Jérusalem et du temple, Jésus, notamment en Ap 1,5-6, est présenté comme celui qui réunit en lui un double pouvoir : celui de la royauté et celui du sacerdoce – avec le thème de la contamination qui est la conséquence de la destruction du sanctuaire, on semble être dans la même controverse que celle des esséniens à l’égard des Hasmonéens, les premiers ayant toujours contesté le pouvoir des seconds pour cause de souillure par rapport au sacerdoce des Oniades. Jésus semblerait avoir suivi un calendrier sacerdotal qui n’est pas celui en vigueur au temple de Jérusalem, mais qu’on retrouve notamment dans le Livre des Jubilés et dans les écrits esséniens découverts dans les grottes proches du Khirbet Qumrân. Ce qui peut conduire à penser que Jésus aurait suivi des prescriptions sacerdotales en matière liturgique, non pas celles concernant l’ensemble du sacerdoce judéen en usage au temple de Jérusalem, mais celles utilisées par certains groupes de prêtres en rupture plus ou moins officielle avec le sacerdoce officiel – une rupture qui pourrait avoir des raisons essentiellement politiques, remontant à la mise en place de la dynastie hasmonéenne considérée par ces groupes comme illégitime et donc souillée.