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En s’implantant en 1940 avec son épouse Marguerite Rossignol dans la Drôme, aux Granges-de-Lesches, Marcel Légaut[1] ouvrait un temps de « jachère intellectuelle » qui, à partir des années 1970, lui permet d’écrire des ouvrages de spiritualité qui trouvent un public ; 50.000 lecteurs alors. Il réunissait toutefois l’été autour de lui un groupe[2], peu structuré, aux Granges de 1947 à 1967, puis à Mirmande jusqu’à son décès en 1990. Ce groupe, devenu l’Association Culturelle Marcel Légaut (ACML), a tenu à marquer les trente ans de la mort de Marcel Légaut, en créant une exposition itinérante grâce au travail de Claude Challande et de Paul Roux[3]. Présentée pour la première fois à l’abbaye de Léoncel, grâce aux Amis de Léoncel, cette exposition a suscité une suggestion de la part du vicaire général et, avec l’appui de la paroisse de la cathédrale de Die et de son curé, a pu être proposée aux visiteurs de cette cathédrale durant l’été 2022. Elle était alors accompagnée d’un livre d’or, sous forme d’un modeste cahier d’écolier[4] (220/168) qui permettait aux visiteurs de s’exprimer ; ce que 88 d’entre eux ont fait, remplissant 31 pages de ce cahier. 

Le support, un cahier où l’on expose son avis dans le cadre d’une exposition est devenu banal. Que ce soit dans les églises, dans les lieux de pèlerinages, dans les expositions, dans les galeries d’art,  cette forme de recueil est devenu incontournable. Dès 1976, le sociologue dominicain Serge Bonnet avait montré l’importance des Prières secrètes des Français d’aujourd’hui[5] en s’interrogeant à la fois sur les différentes thématiques, en se focalisant sur un christianisme populaire, tout en ouvrant sur  la présence de « lettrés ».

Qu’en est-il à Die, dans une cathédrale ouverte aux paroissiens et aux touristes ? Force est de constater l’extrême diversité) des écrits de ces 88 personnes ayant pris la peine [6] de s’exprimer  ; les uns proches du sujet ( l’exposition Marcel Légaut), les autres venus dans une église-cathédrale, quelques-uns hors sujet voire hors cadre religieux, voire carrément grossiers.

Une partie significative – 30 de ces écrits – relève la qualité de l’exposition[7] : « Une belle expo dans un beau lieu […] pousse à lire ses livres et les vivre » résume (et justifie) remarquablement cette exposition, en envisageant une suite de nature personnelle. Le travail est apprécié, le lieu également, et le visiteur pourra parfaire sa connaissance de Marcel Légaut en lisant ou en étudiant son œuvre écrite , et s’inscrire dans un courant exigeant de vie spirituelle incarnée. Trente écrits s’inscrivent dans cette ligne, et on retrouve l’adjectif « inspirant » (à 4 reprises) ;  la notion d’une « découverte » (à 7 reprises) ; mais aussi « un bon moment de sérénité » (1 mention), « un message lumineux » (1 mention), ou tout simplement « super expo, toute la famille a adoré ».

Une partie, non moins significative – 13 écrits – s’inscrit précisément dans le courant des Prières secrètesrévélées par Serge Bonnet, avec son cortège de misère au sens pascalien :

  • Se souvenir de disparus ; le bâtiment ecclésial et le silence qui y règne pouvant inciter à communier avec ses morts, comme cette mère vis-à-vis de son fils décédé à 44 ans, ou à propos d’un frère parti il y a 16 mois à l’âge de 54 ans ;
  • Appeler la bénédiction (sans préciser si c’est celle de Dieu, de Jésus, de Notre-Dame, de saint Marcel, le patron de la cathédrale)  : « Bénissez-moi, mon fils et mes trois petits-enfants » écrit une grand-mère.
  • Remercier en ajoutant, « pas la guerre, s’il vous plaît », ou « Marie qui défait les nœuds », ou encore saint Antoine « pour tout ce que tu nous fait (sic ?) retrouver ».
  • Reprenant la notion de paix et de santé, de demande de travail, précisant parfois le cancer qui évolue ou « la haine qui vit dehors ».

Ensuite, très générales, certaines phrases – 8 autres écrits reprennent, plus ou moins, une expression proprement religieuse :

  • « Mon Jésus, pardon et miséricorde par le mérite de tes saintes plaies » ;
  • « Marie, aide-nous » ; (PRIÈRE !)
  • « Jésus, aime toi » ; 
  • « Je pense fort à Jésus » (Quentin, 6 ans) ;
  • « Dieu, je t’aime ».

À cheval sur ce territoire et le précédent (celui des Prières secrètes), on trouve à la fois une prière « Pour les Âmes du Purgatoire » ET une « Action (de grâce ?) pour la providence de Dieu dans ma vie et celle des miens » . Ou tout simplement « Love », ou plus explicite dans « Cool, peace and love ».

Où classer certaines généralités ou intentions – 5 écrits – ?

  • « Un orthodoxe chrétien qui prie pour l’union des Églises » ;
  • « C’est l’Humanité et elle seule qui pourra sauver le monde » ;
  • « Être ensemble au-delà de l’être » ;
  • « L’amie qui est en vie, qui est nuit, qui est jour, qui est amour est en nous toujours » ;
  • « Et si dans l’Évangile se trouvaient les réponses cherchées en vain ».

Demeurent écrits , soit des constats visant des lacunes de la cathédrale elle-même (6 mentions), son éclairage (3 mentions), son bénitier pas propre, l’absence de petites bougies  pointant à la fois un de gestes fréquents de dévotion et une ressource financière non négligeable, ou tout simplement « belle église » ou « les tableaux sont magnifiques » .On a, au contraire des éléments négatifs : le cahier recèle un « verbiage qui n’aide personne », voire en rupture avec le respect que constatait Serge Bonnet[8], et en lien avec  le scandale de la pédophilie dans l’Eglise (rapport Sauvé d’octobre 2021) [9] : « Dieu aime la sodomie, moi aussi ! ».

Enfin, plusieurs annotations – 14 écrits – attestent simplement du passage à Die de touristes ayant visité la cathédrale et/ou l’exposition, et provenant de : Pays-Bas (6) ; Italie (3) ; Belgique (2) Espagne (1), Pologne (1) ; Estonie (1).

Ou 4 dessins, de simples cœurs (3 cas) ; une esquisse du Christ en croix ou une croix. 

Et, inévitablement, des éléments inclassables, inexploitables (car trop elliptiques) – écrits – : « 2 août, Merci » par exemple.

Il me semble que se mêlent ainsi plusieurs courants confluant dans un un édifice ecclésial, une cathédrale avec son architecture ,ses tableaux et son silence lequel incite à se souvenir de ses disparus, à continuer la supplique pour la santé, la paix, le travail. Une fois, l’évangile est cité comme réponse à des questions insolubles, comme une fois, référence est faite au Purgatoire. Le contexte de la guerre en Ukraine, de la mise en lumière de la pédophilie de certains clercs peut expliquer des annotations qui collent à l’actualité) Si des demandes de nature matérielle concernant l’éclairage ou l’absence de bougies, manifestent les préoccupations concrètes de certaines visites, la présence de l’exposition, voire la notion d’un cheminement ultérieur, n’est pas incongrue ; 29 attestations sur 88  l’indiquent. Nouveauté peut-être par rapport à l’enquête de Serge Bonnet, la présence de touristes, fruit d’une politique d’art sacré, en tant que tels, avec une prééminence des Néerlandais. Mince échantillon par rapport aux 140.000 prières collectées par Serge Bonnet, notre échantillon atteste la coexistence d’un bâtiment ecclésial et d’une exposition qui interroge sur un cheminement et suscite des expressions religieuses,  utilisant deux langages différents[10] :

Avis favorables à l’exposition     30

« Prières secrètes »                   13

Expression religieuse                 11

Généralités                               5

Lacunes de la cathédrale ou éléments négatifs   9

Dessins                                     4

Touristes étrangers                   14

Inclassables                                      2

TOTAL : 88

[…  ) et la présence de touristes peut être le résultat d’une politique d’art sacré.

(PAS DE TOURISTES FRANCAIS, ou bien les touristes français sont mélangés, anonymisés, amalgamés dans les (87-14 =) 73 autres réponses.

 

[1] Voir une rapide synthèse dans Études drômoises, 44, décembre 2020 p. 18-25 : « Quand Marcel Légaut, professeur d’université, se faisait berger dans la Drôme (1940-1945) : l’enracinement d’un spirituel », et DE SCOTT (Thérèse), Petite vie de Marcel Légaut, Desclée de Brouwer, 2010, 126 p.

[2] LÉGAUT (Marcel), Historique du groupe Légaut (1925-1962), Mirmande, ACML, 2021, 136 p.

[3] Un catalogue est disponible, Hors-trace avec Marcel Légaut, 2021, 24 p.

[4] Un dépôt d’une partie des archives de Marcel Légaut ou de celles du groupe Légaut, dont ce cahier, est prévu en 2023 aux Archives départementales de la Drôme ; une autre partie ayant été déposée aux Archives nationales, cf. les Actes de la journée d’études, FOUILLOUX (Étienne), LERCH (Dominique), Un témoin pour le XXIème siècle, Paris, Temps Présent, 2017, 217 p.

[5] 286 pages publiées au Cerf.

[6] Pour complexifier l’analyse, un premier cahier a disparu. Il devait être vierge de tout écrit  ce qui a pu tenter.

[7] De fait, la librairie de Die a pu vendre quelques ouvrages à la suite de l’exposition.

[8] « Ces prières […] elles ne comportent jamais de vocables grossiers », p. 13.

[9] MARTEL (Frédéric), Sodoma. Enquête au cœur du Vatican, Pocket, 2020, 968 p.

[10] Sur un des axes forts du catholicisme contemporain, DUMONS (Bruno), GUGELOT (Frédéric), Catholicisme et identité. Regards croisés sur le catholicisme français contemporain (1980-2017), Karthala, 2022, 331 p.