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Présence de  Marcel Légaut aux archives de l’évêché de Quimper, notamment une lettre  à l’abbé Gaudefroy du 9 octobre 1940

 

Les archives de l’évêché de Quimper offrent quelques éléments légautiens (1), du fait que Mgr Fauvel, ancien du groupe Légaut avant-guerre (« j’ai fait mon noviciat à Chadefaud »), a gardé des contacts. Curieusement, pas de lettre de Légaut à un évêque ; lettres qui auraient pu étayer un dossier sur la relation entre Légaut et des évêques. Cependant :

  • La correspondance de Légaut à son ancien étudiant de Rennes, Jean Le Chevalier, de 1933 à 1961, au rythme, en 1939, de cinq lettres dans l’année. Un aspect de Légaut connu dans le groupe, avec une fidélité à longueur de vie et un engagement (financier ou par un accueil aux Granges), un souci concernant sa « nourriture ». De Valcroissant, le 3 février 1955, Légaut lui écrit : 
    « As-tu lu Les enfants Jéromine et Missa sine Nomine d’Ernst Wiechert ? [chez Calmann-Lévy]. Tu devrais le faire. Si tu ne trouves pas à les emprunter, dis-le moi, je te les enverrai.
    Ces livres te feront du bien. Depuis Bernanos, je n’ai jamais rien lu d’aussi religieux et d’aussi exact sur notre temps […]
    Et le 14 juin 1962, Légaut ajoute : « Je suis heureux que tu découvres Wiechert, c’est un de mes pères suivant l’esprit ».
  • Des éléments personnels concernant madame Host ;
  • Nombre de documents polycopiés de Gérard Soulages, avec deux lettres de Soulages où, en 1969, après la rupture de celui-ci et de Légaut, aux Granges en 1966, Soulages écrit à Mgr Fauvel :
    « Je voudrais que vous puissiez revoir Légaut. Plus de nouvelle. Au fond, il me désapprouve, car il ne croit pas au bruit et n’est pas attaché aux structures visibles de l’Église autant que moi ». 
    En 1968, Soulages avait écrit à l’évêque : « c’est vous qui pouvez tout sauver parce que Légaut vous estime et a de l’amitié pour vous ». Et Soulages d’ajouter au sujet de Légaut : « Dieu l’a visité »...
  • Des échos variés d’autres membres du groupe : Gabriel Rosset, Henri Tournisson et Belleville (de Lyon où tous trois ont fondé Notre-Dame des Sans Abris en 1950), Odette Labarre, le Père Hamel d’Angers, Pierre Voirin, Marie-Thérèse Perrin, les Leroy qui quittent les Granges en novembre 1944… 

Le souci du groupe perdure dans une lettre de Marcel Légaut à l’abbé Gaudefroy, le 9 octobre 1940, quelques semaines avant que Légaut ne monte aux Granges ; l’adjudication du domaine des Granges ayant lieu le 14 novembre 1940 :

Il y a si longtemps que je ne vous ai écrit que j’aurai besoin d’une longue lettre pour vous dire tout ce que j’ai fait et obtenu ces deux mois. Jamais je n’avais senti combien il fallait chercher pour trouver, frapper pour qu’on vous ouvre – sans trop savoir ce qu’on trouverait derrière la porte… mais en le désirant très fortement.

Voici où j’en suis.

Je me marie demain jeudi avec Marguerite, chez Marguerite Miolane. Nous y logerons jusqu’à nouvel ordre car je suis nommé à la Faculté toute proche de là (j’en ai reçu hier l’avis officieux). Ceci est le résultat de démarches faites au Ministère.

J’achète une propriété dans un rayon de 100 km autour de la Faculté de façon à pouvoir y loger tout en assurant mon service normal. Cette propriété comprendra une petite exploitation agricole – principalement élevage et bois. J’y travaillerai en équipe avec quelques étudiants (pour commencer 2 ou 3). En retour, je les dirigerai dans leurs études et les prendrai au pair.

Mon idéal est seulement de vivre sur le domaine, en prenant le régime paysan. Je pense, au moins au début, me faire aider et diriger par quelque famille jaciste, qui puisse comprendre le projet et s’y intéresser.

Dans cette propriété, se transportera Chadefaud-Scourdois. Sa contenance sera d’abord sensiblement moindre. Nous l’agrandirons en construisant des pièces supplémentaires, surtout destinées à la résidence d’été.

Je voudrais aussi progressivement y fonder une petite communauté stable toute l’année, fait de retraités (par ex. les Rousseau) ; mais aussi de camarades comme Madeleine L. ou Marguerite Bosché, dans la mesure où elles pourraient trouver là mieux qu’ailleurs une vie laborieuse convenant à leur état.

Mon idée aussi, je vous l’ai déjà dit, serait de vous avoir. Vous auriez votre place parmi nous. Vous seriez curé de 2 ou 3 paroisses voisines (ce ne sera pas difficile à obtenir, car le pays où nous irons ne nous sera pas disputé…). Et des amies comme Marguerite Bosché ou autre trouveraient dans cette collaboration avec vous dans le travail des paroisses un fruit de leur dévouement. En outre, il y aurait le milieu étudiant que nous essaierons de faire chrétien. Enfin, j’espère bien avoir pour de petits séjours, au long de l’année, des camarades qui viendront là pour parler et penser librement.

Je vous écris tout cela pour que vous y pensiez, pour que vous compreniez la direction que je découvre, et où, avec Marguerite, j’aurai beaucoup plus de cœur d’entrer. Je crois qu’actuellement je travaille utilement pour l’avenir, en particulier pour tous nos pauvres camarades qui sont actuellement dans l’inaction forcée. Je voudrais aussi que vous expliquiez cela à Mle Pasquier qui a dû être attristée par la disparition de la maison [ à Paris ] Dites-lui bien que si quelque chose renaît à Paris, ce sera grâce à ce qui se fera dans ce bled. Dites-lui aussi qu’elle connaîtra un jour ce bled. Parlez-en à Pierre [Voirin ?], à Jean [Haumesser ?], à Madeleine L., à Marguerite [Bosché ?], aux Rousseau, à tous ceux qui s’y intéressent activement.

À Dieu. Bon courage. Quand nous nous reverrons, j’espère avoir encore bien progressé vers le but actuel.

Fraternellement à vous, à Pierre, à Jean.

Marcel

 

Envoyée à l’abbé Gaudefroy, cette lettre qui montre le rapport au groupe au moment de la rupture des Granges, la présence discrète de son épouse, l’éventualité d’un recommencement parisien est une lettre importante qui montre le cheminement de Légaut, où l’abbé Gaudefroy est appelé à jouer un rôle.La suite de l’histoire nous éclaire: l’abbé  ne s’est pas installé dans le Diois.Toutefois, il a dactylographié cette lettre et l’a envoyé à des «camarades», dont le futur évêque. Elle nous attendait dans ses archives.

D.L

 

(1) Il s’agit de la série Z, fonds privés 462 Mgr Fauvel (1902-1983, évêque de Quimper-Léon de 1947 à 1968).